Lavigny, le 15 septembre 2016,
Chers amis du Château de Lavigny, et plus particulièrement de la résidence pour écrivains qu’il abrite,
Nous sommes heureux de vous accueillir en ce jour d’anniversaire et vous remercions d’être venus pour y participer, célébrer l’événement avec nous et les écrivains qui résident actuellement dans la maison.
Il était une fois……..
Heinrich Maria Ledig-Rowohlt, un célèbre éditeur allemand qui avait connu les heures sombres de la guerre dans son pays mais avait pourtant réussi à faire survivre dès 1945 l’activité éditoriale lancée par son père, qui trouvait à Lavigny, dans ce paysage de campagne et de vignes, un refuge bienheureux. Cette maison allait connaître une effervescence littéraire incroyable du vivant de l’éditeur qui convoquait entre autres chez lui les plus grands écrivains américains de l’après-guerre, afin de les faire traduire et donner à lire aux Européens. Le Château fut acheté en 1970 par Heinrich et Jane Rowohlt qui y vécurent jusqu’à leur décès.
Il y a donc 20 ans…..
En 1996, 4 ans seulement après le décès de Ledig-Rowohlt, le Château de Lavigny recevait pour la première fois 4 écrivains venus des 4 coins du monde (déjà !), inaugurant ainsi la résidence pour écrivains. Depuis cette année-là, à la belle saison, la maison accueille des écrivains qui séjournent ici un mois pour travailler à leur projet et qui tissent entre eux des liens durables et précieux, d’après ce qu’ils rapportent.
La transition n’a donc pas été longue. En 1996, la maison retrouvait une vocation littéraire, mais sous une autre forme.
Evoquer toutes ces années de résidence serait une longue histoire. Mais pour nous qui avons mené à bien ce programme, ce fut une jolie histoire. Un comité de 5, parfois 6 personnes, un jury en février pour sélectionner les dizaines et dizaines de dossiers de candidature, et enfin l’accueil, principalement l’œuvre de Sophie Kandaouroff, la maîtresse des lieux. Les étés se sont succédés, un peu plus de 500 écrivains, romanciers, poètes, traducteurs ont couvert ici des pages et des pages d’écriture. Nous avons toujours été attentifs à inviter des bons traducteurs, conscients que nous étions de l’héritage de Ledig-Rowohlt qui s’était tant attaché à susciter des traductions. Peu d’angoisse de la page blanche, a-t-on appris. Les lieux sont propices, l’inspiration n’a pas de retenue, les mots coulent.
Aujourd’hui, pour évoquer ces années de résidence, nous disons : place aux écrivains !
En effet, si cette résidence d’écrivains a un sens, si elle a une valeur, c’est aux écrivains qui y ont séjourné qu’on le doit. Ce sont eux, leurs textes, leurs poèmes, leurs écrits qui ont donné tout son sens et toute sa valeur au programme.
A l’occasion de cet anniversaire, nous avons convoqué plusieurs écrivains résidents, des anciens qui sont aujourd’hui absents mais qui ont laissé des propos parlants dans les livres d’or, d’autres qui ont contribué par des écrits à l’anthologie que nous avons assemblée et qui vous sera présentée ; d’autres encore qui sont venus tout exprès d’ici et d’ailleurs et qui liront de courts extraits. La conclusion sera musicale, une surprise !
Je le disais un peu plus haut, ici l’inspiration n’a pas de retenue, les mots coulent.
Justement à propos de l’émergence des mots, écoutez ce que disait la poétesse américaine Rita Dove, prix Pulitzer de poésie en 1987, qui faisait séjour ici la première année de résidence.
« A funny business, this writing of poems…
For the poet wrestles with the bones of the language, trying to unleash the soul within those bones. And so one is constantly searching for the perfect word – a word so right, it trembles at the slightiest explanation, a word that sings as it leaves the tongue and vibrates in the air long after its sounding.
Here at the Rowohlt Château in Lavigny, I can walk out onto the thread of a thought with no fear of it snapping. »
« Je peux marcher sur le fil d’une pensée sans craindre de le briser. »
Ben Okri, le poète et romancier nigérian qui séjournait au Château cet été au mois d’août, parlait, lui, de magie. Vous direz peut-être que c’est facile de parler de magie, mais ce queBen Okri en dit est révélateur.
Je cite en anglais « magic is a much misunderstood phenomenon. People think it fantastical. But true magic is quiet, its effect is transformative. But you don’t know how true transformations happened. Magical is what Château de Lavigny is ; and it has worked its magic on me ». Il parle d’alambic, de chaudron d’alchimie. Il dit que les problèmes d’écriture se sont dénoués d’eux-même. Plus loin je cite de nouveau « beyond writing we all felt ourselves subtly and not so subtly changed here, as if an unvisible Prospero of life brings us a new shore of being »
Prospero, ce magicien de Shakespeare qui règne sur les esprits et les éléments naturels grâce à ses livres. Un invisible Prospero qui nous mène vers un nouveau rivage de nous-même.
Je terminerai en évoquant brièvement Georges Borgeaud qui passa le mois de juin au Château en 1997. Il est le seul écrivain qui n’écrivit pas une ligne pendant son séjour. Il était très âgé. Il tenait salon au fond du jardin, convoquant ses amis et tout un monde qui venait lui rendre visite, tenant de longues conversations avec lui qui était encore très disert. Sur la table de jardin, il y avait quelques-uns de ses livres. Il demandait à l’un ou l’autre lecture d’une page ou deux.
Il a écrit dans le livre l’or : « le pays d’Aubonne et ses environs ont été les miens dans mon adolescence. Voilà que j’y suis revenu bien des années après en cet été 1997. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je serais l’hôte d’un château avec d’autres écrivains. Ainsi je fais la boucle entre la jeunesse et, hélas, la vieillesse. » Nous avons été très heureux de le recevoir au Château.